Cizhong Noël 2009 - un Noël tibétain au Nord Yunnan

24 décembre 2009, veillée de Noël au Tibet. Au fin fond de la province chinoise du Yunnan, à la frontière avec la Birmanie et la province du Tibet, un passage par les cols à 4300 mètres d’altitude nous mène peu à peu le long du fleuve Mékong vers le village de Cizhong où le prêtre Yao Fei accueille les rares visiteurs. Dans ce village des plus tibétains, la ferveur des Tibétains catholiques à préparer les célébrations de Noël fascine autant qu’elle intrigue. 

Le Nord Yunnan où se situe le village de Cizhong fait partie du Kham – comme en témoigne la coiffe des femmes du village – grande région historique tibétaine essentiellement influencée par la religion séculaire du bouddhisme tibétain et du contrôle politique des Lamas. Les fidèles du village, à 80% catholique, maintiennent ici une étonnante tradition chrétienne au cœur même des anciens royaumes lamaïstes.

L’église de style sino-roman, construite il y a un siècle exactement – sa construction est décidée en 1909 et l’église, toute en pierre et charpente de bois, sera bénite en 1911 par le père Monbeig (1876-1942) – accueille de nouveau depuis 1979 les fidèles. Les chants qui marquent le début de la messe ressemblent à s’y méprendre à des mantras bouddhistes et contraste avec l’inscription latine plus classique « Ecce Agnus Dei » écrite au dessus du tabernacle. 

La grande messe du 25 décembre est suivie d’un repas villageois sur le parvis de l’église, où des gâteaux chinois à la crème ravissent les enfants pendant que les moins jeunes trinquent à l’alcool d’orge et au vin rouge des anciens prêtres français. Tradition missionnaire entretenue ici, le vin des vignes acheminées de France à l’époque est toujours pressé chaque année, en septembre. Suivent danses et chants tibétains traditionnels qui rappellent la tradition de ces chrétientés tibétaines de célébrer en grande pompe les temps forts du calendrier pour résister à la toute puissance et au lustre des lamasseries rivales. 

Le développement de ces missions reculées s’est en effet faite dans la violence et l’opposition permanente des concurrents spirituels locaux : les monastères de la région n’ont eu de cesse de faire détruire et d’éliminer ces œuvres chrétiennes déjà si laborieuses. Si les deux tombes dans le clôt de l’église (les pères Ouvrard et Van Eslande) ont accueilli des missionnaires respectivement morts de maladie et de vieillesse, les autres missionnaires de la région ont plus souvent connu le martyr comme le père Dubernard, massacré en 26 juillet 1905 par « des païens qu’avaient soudoyés les lamas ».

À la croisée de la Cochinchine française et du « Thibet » tant convoité par les puissances occidentales – Anglais en tête – les missions du Yunnan et du Tibet ont connu les révoltes et jacqueries d’un Empire Chinois décadent, pestes et typhus, l’instauration et la chute du Sultunat musulman de Dali (1856-1873), les persécutions du pouvoir tibétain ainsi que les foudres du pouvoir chinois, parfois allié contre les Lamas, souvent ennemi contre le joug humiliant de l’étranger et donc de ses coreligionnaires catholiques.

Désormais appréciée des locaux comme des autorités chinoises, cette petite chrétienté de Cizhong et son prêtre Yao Fei d’origine mongole accueillent en cette veillée de Noël 2009 un prêtre sud-coréen, deux sœurs du couvent de Xi’an, François – Tibétain qui a étudié 10 ans au séminaire avant que la « Libération » communiste du pays ne change la donne – quelques visiteurs chinois et européens et l’ensemble des paroisses tibétaines des environs.